Premier secrétaire du puissant Parti socialiste landais, Renaud Lagrave quitte son poste dans quelques jours, après onze ans de service
Paru dans Sud Ouest par audrey ludwig a.ludwig@sudouest.fr
Renaud Lagrave va vivre ce week-end son dernier congrès en tant que premier secrétaire du Parti socialiste des Landes. Même s'il n'utilise pas le mot « frondeur », ce courant, majoritaire dans les Landes, n'a pas réussi à renverser le ticket Valls-Cambadélis. L'occasion d'un tour d'horizon politique avec celui qui a tenu les rênes du parti pendant onze ans.
« Sud Ouest ».Ces onze années ont-elles été un sacerdoce ?
Renaud Lagrave. C'est le pire poste qui existe au PS ! Le plus ingrat en fait. Là où vous prenez la grêle. Dès que cela ne va pas, c'est la faute de la fédération. Il ne faut pas s'attendre à recevoir quoi que ce soit, c'est juste un abonnement aux engueulades, aux conflits, aux choix. Et en politique, cela prend des proportions démesurées.
Quel conseil donneriez-vous à Stéphane Cahen qui devrait vous succéder le 11 juin ?
De conserver la maison commune. Quand on est premier secrétaire, on ne peut plus avoir de jugements sur personne. Il faut garder la maison et que tous, militants, cadres, élus se sentent chez eux.
Les tensions dans le Seignanx n'ont-elles pas été le petit caillou dans votre chaussure ces dernières années ?
Les électeurs ont tranché aux élections départementales comme ils avaient tranché aux municipales. On va en sortir par le haut, j'en suis convaincu. Il faut trouver des projets, des dossiers qui rassemblent tout le monde. Il faudra tout faire pour obtenir un rassemblement, peut-être un médiateur dans cette situation.
Qu'attendez-vous de ce congrès à Poitiers ?
Pour la première fois, nous pouvons peut-être avoir un débat dans le Parti socialiste. Ce week-end, on ne peut pas partir comme s'il ne s'était rien passé. C'est exclu d'aller faire une synthèse. Il faut que la majorité du parti entende les signaux et que le Premier ministre entende ce qui se passe dans nos congrès. Même si nous ne sommes pas majoritaires (1), c'est quand même 40 % du parti qui doute de la stratégie de la gauche.
Maintenant, on arrive avec un ratio de 28 % (la motion qu'il soutient, NDLR) et c'est une grosse déception. J'espérais pas loin de 40 %, ce qui aurait permis que Cambadélis-Valls ne soient pas majoritaires tout de suite. Quand on perd quatre élections en trois ans, on peut s'interroger sur la stratégie.
Que signifie ce score décevant pour les « frondeurs », selon vous ?
Certains font plus de télévision que de débat. Certains ont aussi répondu aux sirènes de l'unité. Après, avec une participation à 51 % au niveau national et beaucoup de pertes, c'est finalement peu. Dans les Landes, 300 à 400 personnes ont quitté le PS. Les gens sont déçus depuis 2012. Depuis que Manuel Valls est Premier ministre, le changement a été radical et ses choix n'ont pas été validés par le PS avant l'élection. Mis bout à bout, il pousse son avantage en excluant, par des choix politiques, une partie de la gauche. Ce n'est pas nous qui inventons ses déclarations sur la politique de l'offre ou le pacte de responsabilité. Et cela divise.
Le choix de l'union fait par Martine Aubry a-t-il pesé ?
Oui, même si elle n'a pas été suivie par toutes ses troupes. En 2002, j'ai vécu de ne pas être au second tour (de la présidentielle, avec Chirac-Le Pen au second tour, NDLR). C'est pour ça que je me suis engagé dans cette motion : pour que l'électorat de gauche soit rassemblé.
Aujourd'hui, la division est profonde, et c'est un euphémisme. Si elle perdure, c'est 2002 bis. Avec cinq, six candidats au premier tour, cela sera inévitable. Maintenant ce débat fait toujours partie des enjeux à venir.
Le 29 mai dernier, cela faisait dix ans qu'avait retenti le « non » des Français au référendum européen, marquant une rupture. Les « gagnants » socialistes de l'époque n'ont-ils pas raté le coche pour créer un autre parti ?
Oui, il y avait cette possibilité car il y avait un souffle, une attente et une appétence à refaire de la politique chez les Français. Ce souffle est retombé sur un compromis des socialistes entre eux, proposé par François Hollande. Oui, je crois qu'à l'époque, il aurait fallu le faire. Mais les acteurs du moment ont décidé de conserver l'unité du PS. Je n'étais pas là, je n'ai pas à commenter cela. Force est de constater que cette question est toujours là.
Dix ans après, est-ce encore possible ?
Non, je n'y crois pas. Au regard des résultats électoraux, ce n'est pas à gauche que cela penche, mais du côté de la droite et de l'extrême droite. S'il y avait eu un mouvement vers notre gauche, pourquoi pas, la question se poserait. Mais le pôle central, c'est toujours le PS.
Manuel Valls a raison donc… ?
Non. Le PS, seul, ne gagnera pas une élection. Et cela en grande partie à cause de lui. Et les fossés se creusent de plus en plus. Il y a plein de gens qui rendent leurs cartes de militants. Beaucoup au PS, mais aussi dans les autres partis de gauche. Et puis, on se dit qu'il faut se battre, à l'intérieur de son parti pour infléchir le courant. Lors du vote des dernières motions, la gauche du PS représentait un tiers, et au regard de l'histoire, c'est beaucoup. On ne peut pas dire qu'on n'existe pas. Valls a posé une OPA sur le parti, mais validée par personne. Sauf François Hollande. Cela pose question quand le pouvoir est dans les mains d'un seul homme. Personne ne résiste à ça. Sans aller jusqu'à proposer une VIe République, je crois que nous pourrions, en cette fin de mandat présidentiel, montrer des signaux pour que tout cela change.
Les dernières élections locales ont maintenu le Département au PS. Cependant, le rapport s'est resserré entre la gauche et la droite. Est-ce que l'évolution sociologique de la nouvelle population vous fait craindre la prochaine élection ?
Sur le total, on a un peu perdu, mais on n'est pas à plaindre. Il y a une bonne accroche de notre travail et la présence d'Henri Emmanuelli a été décisive. Globalement, le travail paie toujours ou apporte cette plus-value. Le rapport droite- gauche s'est resserré, mais notre présence politique sur le Département reste forte. Dans les années à venir, on aura une nouvelle génération qui prendra le relais au moment de 2017. Et on n'aura pas un autre Henri Emmanuelli ! Donc, plutôt qu'un grand leader, mettons d'abord des équipes en place. Ce sont des transitions importantes et on doit les réussir.
(1) La motion A a obtenu plus de 60 % des voix exprimées par les militants. Celle des frondeurs (B), portée par le député Christian Paul, est sous les 30 %. Les autres motions (de Karine Berger et de Florence Augier) : 10 % et 2 % des voix. Dans les Landes, la motion B a récolté 60 %, la A, 32 % des voix.