Tribune libre de Benoit Hamon et Emmanuel Maurel
S’ils veulent être au rendez vous de 2012, les socialistes ne peuvent pas faire l’impasse sur la question démocratique. Bien sûr, le projet du (de la) candidat(e) devra proposer des solutions pour sortir de la crise, retrouver la croissance et parvenir à une meilleure redistribution des richesses. Mais la question de l’organisation des pouvoirs et de la participation citoyenne aux décisions politiques sera posée avec force.
Nul ne conteste aujourd’hui l’ampleur du malaise démocratique qui frappe notre pays : la montée de l’abstention, le score préoccupant de l’extrême droite, la coupure grandissante entre le peuple et les élites ne sont certes pas des spécificités françaises. Elles s’expliquent en grande partie par la persistance du chômage de masse, par l’insupportable explosion des inégalités, par la mise à mal de notre modèle social. Mais on aurait tort de méconnaître les raisons institutionnelles qui contribuent à ajouter la crise politique à la crise sociale.
La tenue par le Parti socialiste (PS) d’un forum sur les institutions a remis au goût du jour, au nom de l’urgence à briser ces tabous à traquer les « impensés » de la gauche, certains veulent nous enrôler dans leur combat pour l’acceptation pure et simple de la Ve République.
La thèse dès lors est connue : longtemps contemptrice de la Ve république, la gauche l’a finalement acceptée, s’en est remarquablement servie, et s’y est même lovée avec délice. Les appels à la VIe République, aussi nombreux que vains, sont autant de cache-sexe voués à dissimuler un salutaire renoncement. Aujourd’hui, les socialistes auraient définitivement « déverrouillé » leur logiciel poussiéreux. Les voilà enfin convertis aux irrésistibles mérites de la Ve ! Cette « petite musique » réjouira évidemment les thuriféraires du texte gaullien. Ils y verront la preuve de la force de nos institutions, qui auraient davantage changé la gauche que la gauche ne les a changées.
Reste un problème : l’immense majorité des militants socialistes, et vraisemblablement de nos électeurs, ne partagent pas cet enthousiasme pour le régime actuel. Car au-delà de la pratique sarkozyste, véritable condensé d’hyper-présidentialisme, c’est bien la nature de la Ve République qui heurte les consciences de gauche. Comment se reconnaître en effet dans cette organisation des pouvoirs volontairement déséquilibrée, qui prône la concentration des pouvoirs dans les mains d’une seule personne, l’abaissement du Parlement, et invite à une personnalisation toujours plus importante de la vie politique.
Un président tout-puissant et irresponsable
Visionnaire, Léon Blum avait, dès après le discours de Bayeux (1946), fustigé le système proposé par De Gaulle dans lequel « le président ne serait pas seulement le chef symbolique de l’Etat, mais le chef effectif du gouvernement et de l’administration ». « L’attribution du pouvoir à un homme par le suffrage universel s’appelle le plébiscite », ajoutait-il. La nature présidentialiste du régime, induite par la réforme de 1962, a été aggravée par la concomitance du passage au quinquennat et de l’inversion du calendrier électoral, qui fait des élections législatives la simple « queue de comète » de l’élection présidentielle. La concentration des pouvoirs est maximale.
Et, problème démocratique s’il en est, le président est à la fois tout puissant et irresponsable. Sauf à s’engager personnellement à chaque scrutin ou à chaque référendum, comme le fit jadis De Gaulle, le président de la République n’a pas à répondre de sa politique. Il dispose en revanche du droit discrétionnaire de dissolution de l’Assemblée nationale. C’est là un exemple unique en Europe…, la Russie exceptée.
Dans plus d’une dizaine de pays européens, les citoyens élisent en effet le chef de l’Etat au suffrage universel direct. Mais ses pouvoirs sont limités et encadrés, laissant au premier ministre la charge de conduire et déterminer la politique du pays. Au Portugal, en Irlande, en Finlande, en Autriche, le président de la République est légitimé par le suffrage mais conserve une « fonction arbitrale ». Fonction que le texte initial de la Ve assignait au président français, mais que la pratique et la doctrine du « domaine réservé » ont progressivement occulté.
Pourquoi ces pays ont-ils choisi cette voie parfois qualifiée de « primo-ministérielle » ? Parce que c’est le premier ministre qui est responsable devant le parlement, pas le chef de l’Etat. D’un côté un arbitre doté d’une forte autorité. De l’autre un capitaine, chef de la majorité politique issue des législatives, mais censé rendre compte de son action devant le Parlement et susceptible d’être renversé par lui. Ce lien essentiel entre décision et responsabilité, il s’agit pour nous de le restaurer. Oui, l’heure est bien à la refondation. Ve, Ve bis, VIe république : la numérotation importe peu. Ce qui compte, c’est d’opérer la réforme radicale de nos institutions, qui permette un réel rééquilibrage des pouvoirs et l’approfondissement de la démocratie.