Retraites : le choix de la solidarité
Publié par cedric - le 09/02/2010

Tribune publiée par Henri EMMANUELLI et Benoit HAMON
En France, la retraite tend à n’être plus considérée comme un nouvel âge de la vie libéré du travail, mais comme une entrée en précarité. Avec une constance et une pugnacité exemplaires, la droite et le MEDEF mettent en scène cette dramatisation qui engendre chez les salariés, notamment chez les plus jeunes, un manque de confiance grandissant envers notre système de retraite par répartition. Un système auquel les mêmes salariés se déclarent pourtant fortement attachés, comme d’ailleurs à toutes les autres formes de solidarité.

La rengaine selon laquelle il n’y aurait qu’une « solution de bon sens » et une seule, à savoir que « chaque salarié mette la main à la poche », fait son chemin. Elle n’est pas sans rappeler le funeste « there is not alternative » de Margaret Thatcher des années 80. Pour faire bonne mesure, on accuse de dogmatisme ceux qui osent encore prétendre que l’on peut pérenniser la retraite par répartition et conserver à 60 ans l’âge légal du départ en retraite. Malhonnêteté intellectuelle, qui consiste à mettre un point final à tout débat par un mot détourné de son sens — ici « dogme ». Car en matière de retraite, il ne s’agit pas de dogme mais d’un choix de société. Pour la gauche, pour le camp du progrès, la retraite est un nouvel âge de la vie, qui doit être émancipateur et non synonyme de précarité. Pour que toutes et tous puissent la vivre ainsi, elle ne peut donc être envisagée qu’à travers un système solidaire. Et au xxie siècle, dans le monde tel qu’il est, cette solidarité est possible. À condition – et c’est là que le bât blesse – de redistribuer autrement les richesses. C’est, répétons-le, un choix de société, un choix politique fondamental, à l’opposé de celui de la droite et du MEDEF dont l’objectif est de baisser le montant des retraites pour remettre en cause le système par répartition, comme préconisé par le FMI dès les années 90. Par le biais de la peur, le gouvernement incite donc les salariés à accepter des réformes qui les conduiront à souscrire des fonds de pension et à alimenter ce faisant la financiarisation de l’économie, dont ils seront, comme on vient de le vivre, les principales victimes.

Il n’y a là aucune surprise. Tout cela était déjà clairement exposé dans le programme du candidat Sarkozy. La crise a pourtant discrédité le système par capitalisation que la droite voulait introduire dans notre pays. Quant aux réformes Balladur (1993) et Fillon (2003) qui ont allongé la durée des cotisations et aligné, au nom de l’égalité, le système de retraite des fonctionnaires sur celui du privé, certains « pragmatiques de gauche » les trouvait opportunes. Elles ont lamentablement échoué. Un million de retraités vivent actuellement sous le seuil de pauvreté. La moitié des retraités français qui prennent aujourd’hui leur retraite perçoivent moins de 1000 € par mois. 600 000 personnes touchent le minimum vieillesse qui s’élève à 677€ mensuels. Avec 40% d’écart dans le montant des pensions, l’inégalité entre les hommes et les femmes est toujours aussi criante.

Quant au taux d’activité des seniors, que prétendait régler la réforme Fillon, il demeure en France le plus faible d’Europe — 38,1% contre 70% en Norvège par exemple. Ainsi, tant dans le privé que dans le public, 60% des personnes qui liquident leur retraite à 60 ans sont inactives. Telle est la réalité : en France aujourd’hui, l’âge réel de la cessation d’emploi est de 58 ans. Non par choix des salariés, mais parce que les entreprises se détournent des seniors au prétexte qu’ils seraient moins productifs — au prétexte surtout qu’ils coûtent plus cher qu’un jeune. Allonger la durée de cotisation, notamment en temps de crise et de chômage, aggraverait donc la baisse du taux de remplacement (niveau des pensions) et la précarité des retraités.

Pour peu que l’on accepte d’en débattre dans le camp du progrès, d’autres solutions sont possibles qui tiennent compte de l’évolution démographique et de l’espérance de vie, mais sans en faire des alibis de la destruction de notre système par répartition. D’autant qu’en la matière, les prévisions se sont avérées aléatoires. Ainsi le Conseil d’Orientation des retraites (COR) qui avait établi des projections à l’horizon 2040 les a révisées en 2007, compte tenu de l’évolution démographique favorable de notre pays. S’il ne faut pas bannir les projections, il convient de les manier avec prudence et surtout de ne pas occulter un facteur essentiel à tout débat sur les retraites : les ressources. Or certaines d’entre elles sont soigneusement écartées des discussions. Ainsi de l’augmentation des salaires et du chômage qui pèse lourdement sur le financement des régimes de retraite : un point de masse salariale globale correspond à 2 milliards de recettes supplémentaires pour le régime général. L’amélioration de l’emploi et l’augmentation des salaires, adossés à une politique économique qui relance le pouvoir d’achat et impulse les investissements porteurs d’avenir, seraient d’importants générateurs de ressources.

De la même façon, il faut prioritairement élargir l’assiette des prélèvements et taxer les revenus financiers.

Enfin, une autre piste nous semble intéressante à explorer. Selon les prévisions les plus pessimistes du COR (celles de 2003), une augmentation de 0,37% par an des cotisations sociales (à répartir entre cotisations salariales et patronales) à l’horizon 2040, permettrait d’équilibrer le système sans réduire le taux de remplacement ni allonger la durée de cotisation. D’après un sondage IPSOS, les Français sont prêts à cotiser plus, plutôt que de travailler plus longtemps. Aux opposants à cette piste qui ressassent que cela induirait une augmentation du coût du travail préjudiciable à l’emploi, on peut aisément rétorquer qu’il n’existe aucun lien macroéconomique avéré entre le coût du travail et l’emploi.

Si toutefois la hausse des cotisations retraites était de nature à peser sur la santé des PME, il est possible d’en atténuer les effets. D’une part à travers une réforme des cotisations patronales, assise sur la valeur ajoutée, afin de favoriser l’emploi dans les PME riches en main d’œuvre. D’autre part à travers une réforme de l’impôt sur les sociétés modulée pour alléger l’impôt des PME — en fixant un taux majoré applicable aux bénéfices distribués aux actionnaires, et un taux minoré pour les bénéfices réinvestis.

Seule une véritable volonté politique qui ose lever le tabou de la répartition des richesses peut prétendre pérenniser le système par répartition. Le débat sur les retraites est un débat entre deux modèles de société. Celui de la droite et du Medef face à celui du camp du progrès. La gauche ne doit jamais l’oublier.