Directive «retour»: l’Europe de la honte
Publié par cedric - le 18/06/2008

«Les politiques sécuritaires de l’Union européenne s’appuient sur une vision utilitariste de l’immigration», commente Claude Quémar, du Comité pour l’annulation de la dette du tiers monde (CADTM), alors que débute l’examen par le Parlement européen de la «directive retour» censée harmoniser les législations relatives à la rétention et l’expulsion des sans papiers. La philosophie de cette «directive de la honte» va «à l’encontre du respect des textes fondamentaux de défense des droits humains, du droit d’asile et même de la nouvelle tarte à la crème du codéveloppement » juge Claude Quémar. Aller sur le site du Comité.

Claude Quémar. «Depuis des années maintenant, l’Union européenne (UE) met en avant la lutte contre l’immigration dite « clandestine ». La directive en discussion depuis fin 2007 est un pas important en avant vers l’harmonisation de la législation en matière de rétention et d’expulsion des personnes en situation irrégulière et cela pour deux raisons essentielles : le projet de la Commission est soumis à la fois au Conseil et au Parlement européen (procédure de codécision) ce qui rendra cette directive contraignante ; mais surtout, il s’agit d’une harmonisation «vers le bas», c’est à dire vers moins de protection.

On peut à priori s’étonner de voir d’abord adopter des textes normalisant l’éloignement et la détention, alors même qu’aucune politique commune de séjour des ressortissants hors UE n’est en élaboration. Mais depuis Tampere (Finlande), quand le Conseil européen s’est accordé en octobre 1999 sur les critères de la politique d’immigration de l’UE, l’Europe forteresse se renforce d’année en année. (…) Les principales mesures qui scandalisent les associations de défense des étrangers concernent la durée de détention, les mineurs et l’interdiction systématique du territoire.

Aujourd’hui la durée de détention varie de 32 jours (France) à une durée illimitée (Suède, Grande Bretagne). Elle serait portée à 18 mois. Or, même les pays qui prévoient une durée illimitée dépassent rarement les 18 mois, constatant que si après ce laps de temps ils n’ont pu organiser l’éloignement (laissez-passer consulaire, voyage…), ils n’y parviendront plus. Il s’agit ni plus ni moins d’un contrôle de populations indésirables, d’un véritable « internement administratif » (pour reprendre l’expression de la Cimade), y compris lors de l’examen de leurs demandes d’asiles ou de titres de séjour (en particulier dans de véritables camps situés aux portes Sud de l’Europe).

Si le texte prévoit qu’on ne peut placer en rétention un mineur non accompagné, il ne l’exclut pas pour des mineurs accompagnés. Les références nombreuses dans les débats à la Convention internationale des droits de l’enfant de 1990 ne servent qu’à masquer la possibilité d’enfermer jusque 18 mois des mineurs !

De la même façon, aucune protection particulière contre l’éloignement ou la rétention n’est prévue pour les femmes enceintes, enfants mineurs avec leurs parents, victimes de tortures ou de traite…

Une interdiction du territoire européen pouvant aller jusque 5 ans est prévue lors de l’éloignement. Il ne s’agit ni plus ni moins que d’une double peine, qui condamne à la clandestinité permanente ceux et celles qui reviendraient malgré tout.

Les collectifs de sans papiers, les associations de défense des droits des étrangers, de juristes, etc. se mobilisent depuis des mois pour empêcher l’adoption de cette directive de la honte.

L’avenir est à l’immigré qui sert et qui rapporte. Il est important de comprendre que ces politiques sécuritaires s’appuient sur une vision utilitariste de l’immigration. La philosophie partagée dans l’UE d’une immigration «utile», c’est à dire conforme aux besoins conjoncturels des économies européennes, va à l’encontre du respect des textes fondamentaux de défense des droits humains, du droit d’asile et même de la nouvelle tarte à la crème du codéveloppement.

Le meilleur exemple en est la énième réforme du code d’entrée et de séjour français s’attaquant à l’immigration familiale. Il n’est pas question d’accepter les familles des immigrants, cela aurait un coût de les éduquer, les soigner…. Il vaut mieux négocier la venue de travailleurs dans les secteurs où l’on ne trouve pas de main d’œuvre locale, et plus hypocrite encore, la venue d’étudiants titulaires d’au moins un master (obtenu dans son pays) qui pourront obtenir un titre de séjour s’ils trouvent un emploi ici.

Une des manières d’avoir des immigrés qui coûtent moins qu’ils ne rapportent, c’est de ne laisser entrer que ceux qui ont été formés ailleurs, gratuitement pour la France et pour l’Europe. Le pillage des pays du Sud a trouvé une nouvelle forme.»