Interview d’Henri Emmanuelli au journal l’Humanité
Publié par cedric - le 13/01/2008
Pourquoi réagissez-vous aussi sévèrement à l’appel au boycott du Congrès de Versailles lancé par M. Ayrault et M. Hollande ?
Henri Emmanuelli. Il y a dans cette affaire deux questions bien différentes. L’une qui concerne les modalités de décision : référendum ou voie législative. L’autre, le traité lui-même : pour ou contre. S’agissant des modalités, en dehors de toutes les arguties juridiques imaginables en la matière, le seul moyen réel de contraindre le président de la République à organiser un référendum, c’est de s’opposer à la révision constitutionnelle. Si cette révision échoue, le président est obligé d’en appeler au peuple. C’est assez compliqué sur le plan juridique, mais la réalité, c’est ça. De même, le seul moyen pour les socialistes d’obtenir un référendum, engagement qu’ils ont pris à plusieurs reprises devant le peuple français à l’occasion des élections présidentielle et législatives, c’est d’aller massivement à Versailles et de voter contre. En revanche, ne pas aller à Versailles, boycotter le Congrès, comme on nous le demande, c’est laisser les mains libres à Nicolas Sarkozy pour laisser le parlement, où il dispose d’une majorité, s’asseoir sur le vote des Françaises et des Français. Ce serait la première fois, dans l’histoire de nos républiques, que l’on demande aux mandataires – les parlementaires – de désavouer leurs mandants : les citoyens et les citoyennes. Parler de démocratie après ça serait totalement incongru. A fortiori de démocratie participative !
L’élection de Nicolas Sarkozy ne tourne-t-elle pas la page du « non » français au projet de Constitution ?
Henri Emmanuelli. Dire, comme le font certains, que l’élection de Nicolas Sarkozy tourne la page est une interprétation dilatoire. En aucun cas, lorsqu’ils élisent un président ou des députés, les citoyens et les citoyennes ne délèguent à ces mandataires le pouvoir de les priver de leur pouvoir de citoyens, seuls détenteurs de la souveraineté nationale. On peut tout déléguer, sauf le pouvoir de résilier le principe fondamental de la souveraineté populaire. Seuls les régimes dictatoriaux ont estimé que le peuple leur avait octroyé le pouvoir de donner congé à la démocratie ! C’est tout aussi vrai sur des sujets qui ne touchent pas au principe fondateur de la démocratie. Doit-on considérer que l’élection de Nicolas Sarkozy nous dispense, désormais, de nous battre pour la survie de ce qui reste du Code du travail ? Dire que l’on ne peut plus s’opposer parce que l’on est minoritaire, c’est renoncer à toute forme d’opposition. C’est renoncer à la démocratie. Les auteurs de ce genre de thèse, qui les arrange sur un sujet particulier, sont totalement irresponsables.
Sur le fond, en quoi le traité de Lisbonne est-il similaire au TCE ?
Henri Emmanuelli. Le pseudo minitraité n’est pas fondamentalement différent du précédent. Il escamote le préambule et les symboles d’une Europe fédérale, qui n’étaient pas les points qui me posaient problème. Il n’apporte rien sur le plan d’une pratique plus démocratique ou sur le plan social. Rien non plus de nouveau sur le plan monétaire, question aujourd’hui brûlante si l’on veut éviter la délocalisation massive de nos industries, y compris les industries de pointe comme l’aéronautique. Ni sur la possibilité de combattre les délocalisations internes par une harmonisation fiscale et sociale. En revanche se profile l’hypothèse d’un président de l’Union qui serait Tony Blair, coauteur du désastre irakien, valeureux combattant des « forces du bien contre celles du mal », au moment même ou les Américains vont se débarrasser de George W. Bush. Et ce avec la complicité active de Nicolas Sarkozy !
Vous invitez les parlementaires socialistes favorables à un vote négatif à se retrouver mardi prochain. Quelles initiatives entendez-vous prendre ?
Henri Emmanuelli. Aller à Versailles et voter contre la révision de la Constitution. Dans un premier temps. Appeler chaque député(e), en conscience, à utiliser le moyen qui s’offre à lui de rester fidèle à l’engagement pris devant le suffrage universel.