Où va l’Europe ?
Publié par cedric - le 08/02/2008
L’arrêt de la Cour de justice européenne (CJCE) dans l’affaire Laval ouvre la voie au dumping sur les salaires dans l’UE.
Dans cette affaire -également connue comme l’affaire Vaxholm-, l’entreprise lettone Laval un Partneri a détaché 35 travailleurs de Lettonie sur des chantiers de construction en Suède. Leur mission consistait, notamment, à rénover une école dans la ville suédoise de Vaxholm. Les syndicats suédois ont entrepris des actions contre l’entreprise Laval, en raison de son refus de signer une convention collective et de respecter la législation suédoise sur les conditions de travail et le salaire minimum. La Cour du travail suédoise a soumis l’affaire à la Cour de justice des Communautés européennes.
En présentant ses conclusions sur l’affaire Laval le 23 mai, l’avocat général a affirmé que, « dans la situation où un État membre ne possède pas de système de déclaration d’application générale des conventions collectives », la directive concernant le détachement de travailleurs doit « être interprétée de sorte qu’elle ne s’oppose pas à ce que des organisations syndicales tentent, par des actions collectives […], de contraindre un prestataire de services d’un autre État membre à souscrire au taux de salaire, déterminé conformément à une convention collective, applicable de fait aux entreprises nationales du même secteur d’activités ».
Dans l’affaire Viking, proche de l’affaire Laval, la Cour avait maintenu que le droit des syndicats à entreprendre des actions collectives peut être limité par le droit des employeurs à la liberté d’établissement. Le 18 décembre 2007, contrairement à l’opinion de l’avocat général, la Cour a décidé que le blocus d’un chantier de construction, afin de contraindre un prestataire de service étranger à entamer des négociations sur les salaires et à signer des conventions collectives, est illégal dans le cadre des règles européennes sur la libre prestation des services. La Cour estime toutefois, avec moins d’ambiguïté que dans l’affaire Viking, que « le droit de mener une action collective est un droit fondamental faisant partie intégrante des principes généraux du droit communautaire dont la Cour assure le respect ». « Le droit de mener une action collective ayant pour but la protection de l’Etat d’accueil contre une éventuelle pratique de dumping social peut constituer une raison impérieuse d’intérêt général. » D’après le juge communautaire, ce n’est cependant pas le cas dans l’affaire Laval.
La Cour a justifié sa décision en soulignant que la directive concernant le détachement de travailleurs n’obligeait pas les prestataires de service étrangers à respecter les normes de travail, au-delà du salaire minimum, tel que le précise la directive. Elle a en revanche ajouté que les entreprises de ce type pouvaient être contraintes de respecter les règles en matière de salaire minimum de l’Etat d’accueil.
La Cour poursuit en soulignant que les actions collectives, comme celle menée par les syndicats suédois pour contraindre l’entreprise Laval à négocier une convention collective, rendent moins attractif, ou plus difficile, pour ce type d’entreprise d’effectuer des travaux de construction en Suède et constituent donc une restriction à la libre prestation des services.
Elle admet que le blocus du chantier de construction de Laval était destiné à protéger les travailleurs suédois contre une éventuelle pratique de dumping social, ce qui « peut constituer une raison impérieuse d’intérêt général ».
Le juge affirme cependant que les dispositions de la loi suédoise, en particulier sur le salaire minimum, ne sont pas suffisamment précises et accessibles. Ainsi, exiger que Laval ne les respecte pas aurait constitué un obstacle à l’entrée de l’entreprise sur le marché suédois des services.
En France, cette situation ne pourrait pas se produire. Le salaire minimum et l’application des conventions collectives sont en effet définis par la loi.
La Confédération européenne des syndicats (CES) a fait part de sa déception concernant le « défi » que l’arrêt « impose au système suédois de négociation collective et à ceux de certains pays nordiques – les modèles de flexicurité actuellement encouragés par la Commission européenne ». La CES a ajouté : « Cette décision impliquera de revoir la mise en œuvre de la directive sur les travailleurs détachés dans ces pays. L’interprétation étroite de la directive sur les travailleurs détachés pourrait avoir des implications négatives pour les systèmes d’autres pays. Et elle pourrait aussi avoir des conséquences sur la capacité des syndicats à encourager l’égalité de traitement et la protection des travailleurs quelle que soit leur nationalité. En outre, d’aucuns craignent que la capacité des syndicats à garantir ces objectifs soit menacée par le principe de la libre circulation des services. »
Poul Nyrup Rasmussen, eurodéputé danois, président du parti des socialistes européens (PSE), a déclaré être profondément frustré par l’arrêt. Selon lui, l’Europe s’est tirée une balle dans le pied : comment la Cour peut-elle générer tant d’incertitude sur une question si fondamentale ? D’un côté, elle reconnaît le droit à l’action collective des syndicats, de l’autre, la Cour crée une zone d’incertitude sur la manière dont les accords devraient être respectés. Il ajoute que cet arrêt n’est pas une décision en faveur de l’Europe sociale, mais plutôt une façon floue de couvrir les mauvais employeurs et les baisses de salaires. M. Rasmussen a ajouté que cette décision risquait d’envoyer aux citoyens le message que l’Europe s’intéresse plus à la concurrence entre travailleurs qu’à l’augmentation des niveaux de vie pour toutes les familles.
Selon Jean Lambert, eurodéputée britannique Verte, l’arrêt de la CJCE ouvre les portes au dumping salarial dans l’UE et porte un coup aux droits des travailleurs. Les accords salariaux sont des instruments légitimes et efficaces pour garantir les normes minimales de travail dans de nombreux pays européens. Cependant, la CJCE déclare simplement que ces accords peuvent être ignorés et que les syndicats ayant conclus ces accords n’ont aucun moyen de s’assurer qu’ils sont en vigueur. Elle estime que cette décision est au cœur même de la question des droits du travail dans l’UE. Elle pourrait entraîner une course vers le bas en termes de salaire et tourner à la dérision un engagement vis-à-vis du partenariat social. Les travailleurs s’interrogeront : la notion de sécurité existe-t-elle dans la prétendue « Europe sociale ».
A contrario, Philip Bushill-Matthews, eurodéputé et porte-parole chargé des questions d’emploi pour les conservateurs britanniques, a déclaré qu’il était positif de voir la Cour de justice européenne maintenir un principe clé du marché commun : le mouvement syndicaliste cesserait de bloquer les progrès dans ce domaine et devrait tirer des leçons de cette décision pour avancer.