paru sur le site inégalités.fr
le 20 mars 2008
En 9 ans, le niveau de revenu des 5 % les plus riches a augmenté de près de 5 000 euros de plus que celui des 10 % les moins riches. Pourtant, officiellement, les inégalités restent stables. Le point de vue de Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités.
Entre 1996 et 2005, le niveau de revenu annuel des 5 % des ménages les plus riches (1) s’est accru de 6 108 euros supplémentaires, inflation déduite et après impôts. Au cours de la même période, celui des 10 % les plus pauvres a augmenté de 1 137 euros. L’écart a donc progressé de 4 971 euros.
Ce chiffre n’est publié nulle part. On mesure l’inégalité de revenu de façon relative : le rapport entre les revenus des 5 % les plus riches et celui des 10 % les plus pauvres. Sans jamais évoquer les inégalités de revenu absolues : l’ écart en euros entre les revenus des plus riches et des plus pauvres. L’écart relatif est resté stable dans notre exemple. En 1996 comme en 2005, on obtient le même écart relatif de 5,4.
Pour que l’écart relatif reste stable, il faut que la variation en pourcentage soit la même, quel que soit le niveau de revenu. Ce qui est le cas dans notre exemple, avec une hausse d’environ 11 %. Pourtant, on ne se loge pas, on ne s’habille pas, on ne mange pas avec des pourcentages, mais bien avec des euros. Au cours de la période, les plus riches ont perçu 5 000 euros de plus à dépenser que les plus démunis.
Cet exemple constitue une illustration de la confusion qui règne sur les revenus en France. L’appareil statistique s’est notablement amélioré depuis quelques années, et de très nombreuses données sont publiées sur le site Internet de l’Insee (cliquer ici), comme par exemple un document synthétique complet sur la question (Les revenus et le patrimoine des ménages, édition 2006). Pourtant, la vision officielle conduit, comme l’indique le Centre d’étude des revenus et de la cohésion sociale dans un rapport « à une vision réduite des inégalités de ressources » (voir le rapport). Dans un document publié fin novembre 2006 (2), l’Insee parle d’une « réduction très nette » des inégalités dans les années 70 du fait de la hausse du niveau de vie au bas de l’échelle des revenus, ce qui est incontestable. Mais l’institut poursuit en indiquant que ces évolutions se sont « poursuivies de manière plus atténuée jusqu’en 2004 ». Une affirmation beaucoup plus discutable, pour plusieurs raisons :
1- On oublie de raisonner en valeur absolue, ce qui n’est pas « plus » ou « moins » valable que de façon relative. Ainsi les Etats-Unis utilisent un seuil de pauvreté défini en valeur absolue et non de façon relative.
2- La plus grande partie des revenus du patrimoine – majoritairement détenus par les plus riches – ne sont toujours pas intégrés.
3- Les revenus des indépendants sont mal appréhendés, notamment parce qu’ils peuvent affecter à leur outil de travail une partie de leurs dépenses personnelles.
3- Le coût du logement est mal pris en compte. L’Insee déduit les impôts des revenus et y ajoute les prestations sociales pour mesurer le réel niveau de vie. Dans ces prestations, l’institut inclut les allocations logement. En revanche, il ne tient pas compte du fait qu’une partie de la population a une charge de logement très réduite, les propriétaires qui ont achevé de rembourser leurs emprunts.
Nous vivons une période d’accroissement net des écarts absolus de revenus, et très probablement une hausse des écarts relatifs si l’on prenait en considération les revenus du patrimoine. La France n’est pas l’Amérique, les inégalités y demeurent beaucoup plus modérées. Elle est aussi un pays beaucoup plus hypocrite où les discours se côtoient, quand certains médias mettent en avant la réduction des inégalités, d’autres voient une « explosion ». Autant de discours décalés par rapport à la réalité sociale, qui entrainent une incompréhension de la population.
Il est temps que notre pays se dote d’un instrument de mesure des revenus fiable et complet, publié chaque année, diffusé à un large public. Le document édité par l’Insee est un premier pas, mais il n’apporte pas l’ensemble des réponses. Seule figure une première évaluation, très sommaire, des revenus du patrimoine et le coût du logement. Il faudrait pour cela un choix politique fort. La responsabilité de la situation actuelle incombe moins à ceux qui produisent la statistique qu’au désintérêt dans notre pays pour la connaissance des revenus.
(1) Le revenu pour lequel 95 % gagnent moins et 5 % gagnent plus. Il s’agit du revenu disponible des ménages, toutes formes de ménages confondues. (2) « Les revenus et le patrimoine des ménages, édition 2006 », coll. Références, Insee