Un grand parti de gauche pour un New Deal, par Jean-Pierre Chevènement
Publié par cedric - le 24/04/2008

Enfin un peu de politique dans cet océan de candidatures pour le congrès socialiste, candidatures qui ne participent pas à la clarté du débat, et surtout qui ne situe vraiment l’enjeu du congrès de Toulouse. Même s’il n’est plus des nôtres intra muros, le CHE pose une bonne question sur l’avenir de la gauche en France et dans le monde, enfin une proposition concrète d’action et en tout cas sur le papier une volonté de rassemblement de la gauche…le débat ne fait que commencer.

paru dans LE MONDE | 23.04.08 | 14h22  

Certains, à gauche, comptent sur la puissance du rejet du pouvoir en place : il suffirait, à leurs yeux, que le Parti socialiste désigne demain un candidat crédible, en cohérence avec le projet social-libéral qu’il porte depuis 1983, éventuellement corrigé à la marge. Pour d’autres, les trois échecs successifs du candidat socialiste à l’élection présidentielle (1995, 2002, 2007) ne sont pas l’effet du hasard, mais la conséquence d’une rupture profonde avec les couches populaires que Ségolène Royal n’a comblé qu’en partie en 2007.

 La reconquête de l’électorat populaire n’est pas possible à partir de l’existant. Elle passe par l’organisation d’un électrochoc puissant, débouchant sur la création d’un grand parti de toute la gauche, à condition bien entendu qu’il porte un projet à la hauteur des défis de la crise qui vient. Le mouvement socialiste, depuis les origines, n’a jamais fait l’économie d’une critique du capitalisme de son temps. La refondation de la gauche aujourd’hui ne peut davantage faire l’économie d’une critique approfondie de la globalisation.

Succédant à l’ère du New Deal (1945-1979), la globalisation libérale, voulue de longue date par les Etats-Unis, n’est pas qu’un phénomène économique – l’ouverture généralisée des marchés -, elle est aussi politique : elle ne marche qu’avec l’hégémonie des Etats-Unis, qui ont imposé le dollar comme monnaie mondiale et contrôlent, à travers leurs multinationales, l’essentiel des flux de richesses et notamment de matières premières. La globalisation, à travers la libération des mouvements de capitaux, a débouché sur la domination sans partage du capital financier. La crise financière actuelle trouve son origine dans le surendettement des ménages américains et dans les dérives de la sphère financière.

En réalité, les Etats-Unis n’ont plus les moyens de dominer seuls le monde. Leur politique de fuite en avant dans l’endettement intérieur et extérieur aussi bien qu’en politique étrangère, avec l’invasion de l’Irak, rencontre ses limites. La chute du dollar et l’enlisement militaire au Moyen-Orient rendent manifeste la « surextension impériale », dont l’historien Paul Kennedy avait eu l’intuition dès 1987. Les Etats-Unis cherchent en Europe des supplétifs, mais rien ne saurait enrayer la marche vers un monde multipolaire, avec la montée des grands pays émergents (Chine, Inde, Brésil, etc.) et le retour de la Russie.

La seule question qui se pose est de savoir si nous prétendons contrarier cette évolution en nous mettant, au nom d’un « occidentalocentrisme » à courte vue, à la remorque de la politique néoconservatrice américaine, au risque de tensions et de conflits multipliés, ou si, au contraire, nous voulons que la France et l’Europe tiennent leur rôle pour faire prévaloir le dialogue des cultures et l’autorité du droit international sans lequel il ne peut y avoir de paix durable dans ce monde multipolaire. Ce choix est crucial. Il ordonne toute la politique française. Il n’est pas moins décisif pour la réussite d’un processus de refondation de toute la gauche.

Celle-ci, en effet, doit s’appuyer sur la crise de la globalisation financière pour dessiner les contours du monde nouveau. Les institutions internationales, qui sont au coeur de la globalisation (FMI, OMC), sont en pleine crise : le FMI, contrôlé en fait par les Etats-Unis qui y disposent d’un droit de veto, est frappé d’impuissance et personne n’imagine plus qu’une relance de la croissance puisse résulter d’une nouvelle libéralisation du commerce international. Les pays les plus libéraux aujourd’hui n’hésitent plus à recourir à l’intervention publique, comme si les nationalisations redevenaient légitimes, dès lors qu’il ne s’agit plus que de nationaliser des pertes.

La grande crise qui vient amènera un réexamen critique de tous les postulats libéraux (libre-échangisme, effacement de l’Etat, rejet des politiques industrielles au nom de la « concurrence »). Les règles de l’organisation monétaire et du commerce international sont à revoir. Un grand parti de toute la gauche, en France, doit se donner pour visée l’organisation d’un nouveau New Deal à l’échelle mondiale. Cette nouvelle donne monétaire, sociale, environnementale, implique la réunion de grandes conférences internationales entre pays industrialisés et pays émergents. Encore faut-il pour cela qu’une volonté politique s’exprime. Sinon à quoi servirait la gauche ? Et à quoi servirait la France ?

C’est cette visée qui donnera toute sa puissance et sa légitimité à l’effort de conviction que la gauche devra déployer aussi bien en France vis-à-vis du monde du travail qu’au plan international vers les formations progressistes et vers les pays émergents. C’est ainsi que la gauche française pourra donner une juste perspective aux luttes sociales, particulièrement en ce qui concerne les délocalisations et la préservation, en France et en Europe, d’un tissu productif moderne. La gauche française doit construire autour d’elle une vaste « alliance des productifs ».

Les institutions européennes auront à se réformer au feu de la crise. Le recentrage de l’Allemagne sur l’Europe, auquel nous devons contribuer, sera déterminant. Pour maintenir le tissu industriel, l’Etat ne devra se priver d’aucun moyen. Cette nouvelle donne suppose que la gauche française se réapproprie la tradition généreuse de Jaurès qui n’a jamais opposé l’internationalisme et la nation.

Ainsi, c’est à travers la conscience d’une tâche historique exceptionnelle qu’on relèvera la gauche. Je suis convaincu que l’organisation, dans tout le pays, de « forums de l’unité », dès lors que seront abordés les débats de fond, permettra d’attirer des milliers de sympathisants aujourd’hui encore sur le reculoir. Nous créerons ainsi un mouvement irrésistible vers cet « événement-électrochoc » que serait une nouvelle refondation de la gauche, à l’image de celles qui, de 1905 à 1971, ont rythmé son histoire.

Un tel parti doit s’ouvrir à toutes les sensibilités. En effet, un « parti révolutionnaire » dressé contre un parti « social-libéral » ouvrirait un boulevard à la droite. Les communistes, dont l’histoire a eu sa grandeur, trouveront mieux qu’un rôle d’appoint au PS dans la création d’un grand parti de toute la gauche. L’expérience montre que le dialogue entre des sensibilités radicales, voire utopiques, et des sensibilités plus gestionnaires peut être fécond au sein d’une même organisation.

Une phase intérimaire de type fédéral ou confédéral entre les parties constitutives est peut-être inévitable, mais le temps presse. Les échéances sont proches. Ne sous-estimons pas les capacités de rebond de Nicolas Sarkozy. Créons, pendant qu’il en est temps, l’élan nécessaire. Construisons une véritable alternative en prenant appui sur les intérêts indissociables de la France et du monde du travail.