MARCHÉ DE L’EAU. —La justice devrait rejeter l’appel des sociétés concernant l’aide aux communes en régie publique
Depuis 1995, le Conseil général des Landes et les groupes qui dominent le marché de l’eau (Suez, Veolia, Saur) ont engagé un interminable bras de fer juridique. Les opérateurs privés, qui distribuent 75 % de l’eau dans l’Hexagone et réalisent 60 % de l’assainissement, tentent sans grand succès de stopper la politique volontariste menée par Henri Emmanuelli, le président socialiste du Département. En l’espace d’une décennie, plusieurs dizaines de communes landaises ont décidé de revenir en régie. L’attrait du public est tel que les sociétés privées doivent désormais baisser leurs prix de 20 à 30 % si elles veulent conserver leurs contrats lorsque ces derniers arrivent à échéance.
Discrimination. Le contentieux est réactivé à intervalle régulier par les délibérations du Conseil général. Elles portent le plus souvent sur les aides financières accordées aux communes qui optent pour des régies publiques de l’eau et de l’assainissement. Mardi 10 juin, devant la cour administrative d’appel de Bordeaux, la Fédération professionnelle des entreprises de l’eau a demandé une nouvelle fois l’annulation d’une décision votée en février 2004.
À l’époque, les conseillers généraux avaient décidé de majorer de cinq points le taux de subvention alloué aux travaux engagés par des collectivités ayant choisi le public. Et de diminuer d’autant celui des travaux réalisés dans un cadre privé. Selon la Fédération professionnelle de l’eau, la modulation des aides en fonction des modes de gestion affecte directement le prix payé par les usagers.
La Fédération dénonce ainsi une discrimination et une distorsion de la concurrence. Elle dénie surtout toute valeur aux comparatifs avancés par le Conseil général. En 1995, une étude avait démontré que le public était 70 % moins cher que le privé dans les Landes. « Cela ne signifie rien », réplique l’une des avocates du cabinet Bredin Prat, le conseil des majors de l’eau. « Les contraintes techniques, les conditions d’exploitation et les risques financiers ne sont pas les mêmes. »
Le dispositif mis en place dans les Landes s’appuie aussi sur un syndicat interdépartemental, le Sydec. Doté de moyens techniques et humains étoffés, cet outil apporte aux collectivités une expertise comparable à celle des grandes entreprises. Soit en jouant le rôle de consultant auprès des communes désireuses de reprendre le contrôle de leurs réseaux, soit en assumant la régie de celles qui en sont incapables.
« En 2004, le Conseil d’État a reconnu que la modulation des aides ne portait nullement atteinte au droit des communes à choisir leur mode de gestion », relève le cabinet Lyon-Caen, en charge de la défense du Département. Mardi dernier, le commissaire du gouvernement Olivier Gosselin a d’ailleurs conclu au rejet de la requête de la Fédération professionnelle des entreprises de l’eau.
Ce magistrat indépendant, dont les avis sont généralement suivis par la juridiction, juge certes « pertinent » le raisonnement économique des opérateurs privés. « L’impôt départemental compense les insuffisances des régies », assure-t-il. Mais il reproche à ces mêmes opérateurs de se contenter de « remarques trop générales » et de ne pas démontrer leurs assertions. Ce qui les rend à ses yeux peu convaincantes sur le plan juridique.
Interminable feuilleton. Depuis janvier 2007, du fait d’un amendement d’un parlementaire UMP sensible au lobby de l’eau, les collectivités locales n’ont plus le droit de moduler leurs aides. Henri Emmanuelli a répliqué en modifiant le régime des subventions. Elles ne sont accordées que si le service est en régie directe. Les grands groupes ont immédiatement attaqué en justice la nouvelle délibération. La décision que rendra la cour administrative d’appel dans quelques semaines ne mettra donc pas fin à ce feuilleton où, une fois n’est pas coutume, le public n’en finit pas de marquer des points en écornant les bénéfices et les dividendes des majors de l’eau.