Les fantasmes du projet «Création et internet»
Publié par cedric - le 18/06/2008

«Ce projet annonce la mise en place d’une prison numérique» dénonce Me Jean-Baptiste Soufron, avocat, spécialiste du droit du Multimédia et des systèmes d’Information. La loi « Création et Internet » présentée au Conseil des Ministres, mercredi, « remet en cause les bases mêmes des libertés fondamentales ». « Il n’y a pas de sanction graduée puisque ce sont de nouvelles infractions qui n’ont rien de graduée, elles s’ajoutent à la contrefaçon et se passent du processus judiciaire et des droits de la défense » », juge-t-il.

Jean-Baptiste Soufron. « Ce projet de loi est en complet décalage avec les pratiques des Français aujourd’hui. Il ne correspond ni au marché, ni à l’intérêt des citoyens ni à celui des industries culturelles. Comment va-t-on expliquer au gens que c’est très mal de télécharger alors qu’il y a Dailymotion, You tube ? La France est complètement en retard au niveau du numérique et ce projet ne va faire qu’aggraver la situation. Si l’on veut que la France reste dans le tiers monde numérique c’est bien parti. Il vise à empêcher les gens de consommer des produits culturels gratuitement sur Internet alors qu’aujourd’hui on paye une taxe sur les baladeurs MP3, les disques durs. Cette tentative de réforme est basée sur un projet économique fantasmé, d’une société où les gens n’auraient ni Ipod, ni connexion ADSL. Le téléchargement a augmenté de façon continue ces dernières années, parallèlement aux taux de connexion des ménages et malgré toutes les campagnes de répression. Comment peut-on imaginer que les consommateurs vont arrêter de télécharger pour acheter des disques ? Et quel fournisseur d’accès acceptera de supprimer une ligne ?  Ce projet de loi est inadapté économiquement, juridiquement et intellectuellement.

L’impact législatif de cette loi est multiple. Elle remet en cause les bases mêmes des libertés fondamentales. Il n’y a pas de sanction graduée puisque ce sont de nouvelles infractions qui n’ont rien de gradué, elles s’ajoutent à la contrefaçon et se passent du processus judiciaire et des droits de la défense » . Les possibilités de défense ou de recours sont très réduits et relèvent de la procédure administrative et non plus de la procédure judiciaire qui était protectrice des internautes. Les sanctions sont très lourdes : suppression d’Internet entre un mois et un an. Avec l’ampleur des fonctionnalités d’internet aujourd’hui, ce projet annonce la mise en place d’une prison numérique. Sans parler de l’obligation de surveillance qui suppose l’arrêt de l’accès libre. Quant aux nouvelles infractions qui sont creées, on ne connait pas leur statut juridique puisque c’est un nouveau modèle qui est mis en place. Alors qu’on était avant dans un cadre juridique où les personnes pouvaient se défendre, on passe à un cadre administratif qui fait tout sauter. De toute façon, la loi ne va pas passer en l’état. Il est vraisemblable que le conseil constitutionnel la vide de sa substance et que les Cours d’appel aient des difficultés à l’appliquer. C’est comme si on interdisait à Leclerc de vendre des légumes pour relancer le petit commerce. C’est une bulle juridique. On attend qu’elle dégonfle.

Les études citées à l’appui du projet nous viennent d’un média complètement inconnu – comme le bilan évoqué – : Entertainment Media Research. Quant au rapport Olivennes, il se base sur les chiffres de la Fnac. C’est la Cour des Comptes qui sait combien l’industrie culturelle gagne d’argent. C’est elle qui a la vision la plus précise de la situation. La Cour des comptes a publié un certain nombre de rapports sur les chiffres de l’industrie culturelle, sur les sociétés de gestion collective type SACEM. C’est la seule instance compétente et c’est la seule qui n’a pas été consulté. Il n’y a pas une donnée sûre dans ce rapport. On n’a même pas demandé à l’INSEE ses études sur l’évolution des dépenses de télécommunication des français.

La seule solution est de s’en remettre à la Cour des Comptes et la Commission de contrôle des sociétés de gestion. Il faut regarder ce qui a été fait sur le sujet. Ce qui s’est fait sur la copie privée marche très bien grâce aux taxes. Mais on ne peut pas à la fois taxer et empêcher les gens d’utiliser   l’outil pour lequel ils ont payé. »

Réalisé par LAURA ROLAND