ENTRETIEN. Aussi bavard que didactique, Henri Emmanuelli a de lui-même entretenu la discussion à bâtons rompus avec nos quatre lecteurs. Morceaux choisis d’1 h 30 de débat
Son idée de la crise ou des crises
Jean-Christophe Cazaux. Que proposez-vous pour relancer l’économie et redonner confiance aux lambdas que nous sommes ?
Henri Emmanuelli. Sur la crise, on dit des choses justes, mais on ne dit pas tout. On parle de la crise financière, des banques, de la bourse, mais on ne dit pas souvent la raison profonde : pourquoi cette débauche de crédit, cette bulle spéculative ? Une lecture plus politique consiste à regarder ce qui s’est passé ces 15-20 dernières années : le déplacement de la valeur ajoutée, la part de la richesse produite, d’à peu près 10 % des salaires vers le capital ou les actionnaires, ça revient au même. Depuis plus de 10 ans aux États-Unis, le salaire médian n’augmente pas en capacité de pouvoir d’achat. En France, c’est pareil : depuis 2002, le salaire médian n’augmente pas. Au XVIIIe siècle, le plus haut salaire ne devait pas être plus de 20 fois supérieur au plus bas. Aujourd’hui, on arrive à 1 000, 10 000, on ne sait plus…cette crise a des racines très simples et très politiques : on a moins redistribué. Il y a aussi un étouffement ou un essoufflement de la consommation. Et la consommation, c’est quand même la contrepartie des trois quarts de la croissance : trois quarts de ce que l’on produit est destiné à alimenter la consommation.
François Gibert. Cette crise est-elle si inéluctable ?
C’est inhérent au système capitaliste à partir du moment où il n’est plus régulé et n’a plus peur de rien, dès qu’il se sent les coudées particulièrement franches. C’est le cas depuis la fin des années 1980, depuis l’effondrement du bloc communiste et la disparition du mur de Berlin. En Occident, le capital s’est dit : il n’y a plus de freins, de contraintes, de menaces, alors allons-y gaiement ! Parce que c’est quoi le capitalisme ? Ça consiste à faire du profit quand même ! À la décharge du système capitaliste, on est allé dans la pire direction qu’il puisse offrir, parce qu’il peut en avoir de meilleure, quand il est un peu encadré…
« Sud Ouest ». Quelle attitude adopter vis-à-vis des fautifs ?
Je crois que cette semaine, nous allons être quelques-uns à interpeller l’État pour lui dire qu’il faudrait peut-être s’occuper un peu des Français plutôt que des banquiers. L’État veut acheter 30 000 logements pour soulager l’immobilier. Mais comme il n’a pas d’argent, il dit à la Caisse des dépôts et consignations, c’est vous qui allez les acheter. Moi, je pense que l’État aurait mieux fait de dire, « je vais garantir les prêts immobiliers de 100 000 Français qui accèdent à la propriété », ça lui aurait sans doute coûté moins cher. Et c’était une façon de s’occuper des gens plutôt que de s’occuper des syndics promoteurs. Parce que va-t-il se passer ? La Caisse des dépôts va acheter des logements à Nexity, à Bouygues… Ils vont une fois de plus s’arranger entre amis…
« Sud Ouest ». On vous sent agacé sur ce sujet ?
Il y a six mois, j’ai fait une déclaration avec mes amis sur le thème, il faut un fonds souverain (1). J’ai eu droit à un article cinglant dans le journal « Le Monde » sur mon « surmoi marxiste » ; sous-entendu, Emmanuelli, c’est un coco mal dégrossi, en gros… Résultat, Sarkozy veut également au- jourd’hui un fonds souverain : alors, est-ce que c’est un coco mal dégrossi lui aussi ?
Un Congrès décisif pour le Parti socialiste
« Sud Ouest ». Pourquoi avoir choisi Benoît Hamon ?
Il était déjà avec moi lors du dernier Congrès et nous avons pensé qu’il fallait du renouvellement. Tous mes camarades du PS veulent du renouvellement, mais à condition que ce soit pour les pousser à eux, surtout pas pour lâcher prise. On a pensé qu’il fallait promouvoir un quadragénaire, dans un courant où il y a beaucoup de jeunes. Il fallait le mettre devant, qu’il soit candidat. C’est quelqu’un qui raisonne très politiquement, qui a une lecture politique des choses, alors qu’un des drames des socialistes depuis 15 ans c’est qu’ils ne font plus beaucoup de politique…
François Gibert. Et vous, vous avez avalé beaucoup de couleuvres…
Mmoui… Mais aller dehors, pourquoi faire ? C’est la question que je me suis toujours posé, parce qu’on me la pose souvent. On est même parfois plus méchant en me disant que je sers d’alibi, de caution de gauche. Mais chaque fois que quelqu’un a voulu faire quelque chose en dehors des grandes formations politiques, ça n’a pas fonctionné. Regardez Chevènement, il a voulu sortir du PS, ça a donné quoi, le Mouvement des Citoyens ? C’est peut-être respectable intellectuellement, mais politiquement, c’est un député ou deux et encore, élus grâce au PS…
Jean-Christophe Cazaux. Si Ségolène Royal remporte le Congrès, sachant qu’elle veut travailler avec le Modem, que faites-vous ?
Je ne crois pas que Ségolène puisse gagner. Le problème de ce Congrès, c’est que personne n’aura la majorité. Ni Ségolène, ni Delanoë, ni Aubry, ni Hamon a fortiori. Pourquoi ? Parce que les trois premiers, pendant cinq ans, ont été dans la majorité du Parti. La majorité s’est coupée en trois et on demande pourquoi il n’y aurait pas de majorité…
« Sud Ouest ». Hamon premier secrétaire, est-ce possible ?
A priori, sur le papier, non. Sauf si, faute de pouvoir arbitrer entre eux, il fallait s’en remettre à un autre.
« Sud Ouest ». Ségolène élue, vous partez ?
(il sourit) Disons que ça me posera un gros problème. Compte tenu de mon ancienneté, je me reconnaîtrai le droit de réfléchir sérieusement.
Jean-Christophe Cazaux. Mais comment être prêt en 2012, il faut un chef ?
Il faut rester calme. Il restera trois ans. Il ne faut pas trois ans pour gagner une élection présidentielle. En décembre 1980, Mitterrand était à 29 % et Giscard à 71 % dans les sondages ! Mais c’était l’époque bienheureuse où la gauche ne croyait pas aux sondages ! Quant au problème de chef, l’électorat de gauche doit cesser d’être frustré. En 2002, il y avait un chef, personne ne contestait la légitimité de Lionel Jospin. Et il n’y a pas eu victoire ! Il faut donc un chef, plus une ligne politique. Cette idée _ si on a un chef, on est sauvé _ c’est plutôt une idée cultivée à droite…
Les Landes XL, Sony et l’A65…
Dominique Perrin. XL : pourquoi ce nouveau logo ?
Sur ce sujet, j’ai les oreilles qui sifflent un peu… On essaie de créer une image. Sauf que cette campagne est arrivée en septembre et on ne pouvait pas prévoir que cela tomberait en plein déclenchement de la crise… C’était une façon de renouveler la communication des Landes qui avait 30 ans. On se fait toujours engueuler avec un logo. Moi aussi, j’ai été surpris, je n’étais pas acquis au premier coup.
Daniel Grocq. Malgré un engagement de façade, je vous ai trouvé très évasif sur Sony ?
(remonté) Vous pensez que moi, j’ai la possibilité de débarquer au Japon et de faire peur à Sony ? Avec quoi ? Des chars Leclerc et des Mirage 2000 ? Je ne suis pas le gouvernement. Ce n’est pas le Conseil général qui s’occupe des relations internationales, des droits de douane, etc. Sony, c’est moi qui l’ai fait venir, quand j’étais au gouvernement… 3
« Sud Ouest ». Comment expliquez-vous l’échec des négociations et quel espoir reste-t-il ?
Ça fait trois ans que Sony nous dit « je vais partir », à nous et aux salariés. Pendant deux ans, on a vu trois ou quatre fois les dirigeants avec leur nouveau projet photovoltaïque. Sauf qu’au dernier moment, tout coince et maintenant que Sony se retire, on se tourne vers moi pour trouver un autre repreneur, formidable ! Il me reste à convaincre Sony de mettre de l’argent dans un projet et essayer de regarder s’il n’y a pas d’autres investisseurs. On s’en occupe, mais il faut rester discret.
Daniel Grocq. Qu’en est-il des incertitudes sur le financement de l’A65 ?
Qu’est ce qui vous fait penser ça ? Si vous croyez que la Sepanso sait mieux calculer que nous, vous vous trompez. C’est un nouveau truc qu’ils ont trouvé en bout de course, après les écrevisses à pattes blanches, le vison d’Europe… Quand on a signé, on s’est engagé financièrement. Au départ, il fallait 2 milliards à financer entre Région et collectivités. On l’a accepté, on veut l’autoroute, même à ce prix. Tout le monde veut le développement économique, mais une des conditions essentielles, c’est l’accès. Et dans le quart Sud-Ouest, on est des parents pauvres. On a besoin de l’autoroute pour désenclaver. On commence déjà à en voir les effets positifs. Et ça n’est pas parce qu’aujourd’hui on est en pleine crise que l’on doit tout arrêter. On ne va pas se jeter à l’eau tout habillé avec de la fonte aux pieds !
Daniel Grocq. Où en est le projet de Rugby Landes ?
3 Je vais vous décevoir, mais je me contente plutôt de regarder. Ce que l’on avait fait il y a quelques années, c’est parce que les deux présidents de clubs d’alors me l’avaient demandé. A l’époque, les deux étaient pour… Les maires respectifs, c’était autre chose… Mais si ça ne vient pas d’eux, je n’ai pas vocation à me mêler de la vie du Stade Montois et de l’US Dax. Ce qui est sûr, on le voit, c’est que l’on n’arrivera pas à long terme à garder deux équipes en Top 14…
Son avenir, sa succession
Jean-Christophe Cazaux. Peu de relève, beaucoup de gens dans votre ombre, il semble difficile de vous succéder…
Les cimetières sont pleins de gens irremplaçables. Je ne le suis donc pas, irremplaçable. Est-ce que ce sera difficile ? Aucune idée. C’est la vie, ça…
« Sud Ouest ». Songez-vous à votre départ ?
3 Bien sûr que j’y pense. Mais la succession, il ne faut jamais en parler. D’abord parce que les dauphins risquent de s’entretuer. Et surtout, parce que si on commence à parler de succession, on perd son autorité. Y penser toujours et n’en parler, jamais.
« Sud Ouest ». Pour Labeyrie à Mont-de-Marsan, il aurait fallu y penser ?
Oui, sauf que les choses ne se passent pas comme ça. Il faut que les gens veuillent, sinon vous avez deux listes sur les bras et une défaite assurée.
Jean-Christophe Cazaux. Mais n’aviez-vous pas l’autorité pour en imposer à Labeyrie ?
Les gens n’écoutent pas quand il s’agit d’eux.
François Gibert. Et la récente guéguerre entre Labeyrie et Jullian, qu’en pensez-vous ?
Qu’est ce que vous voulez que j’aille patouiller dans ce genre de trucs ! Je n’irai pas. Tout cela est regrettable, c’est le moins que l’on puisse dire, pour rester aimable et gentil. Après, vous pouvez penser que j’aurais pu influer sur quoi que ce soit, la preuve… Pourquoi les gens ne veulent pas se retirer ? Je l’ai déjà dit. A propos de Jack Lang, au Congrès de Versailles, avec qui j’ai été plus méchant qu’avec Ségolène… « De Gaulle avait dit que la vieillesse était un naufrage, Jack n’était pas obligé de nous en fournir l’illustration. »