Je reproduis ici l’article de Sud Ouest consacré aux suites de la tempête dans les Landes, cette fois ci c’est le Président du groupe PS et maire de Rion Joël Goyheneix qui raconte ce qui s’est réellement passé, loin des annonces présidentielles et autres visites ministérielles. Quand on parle de maintien des services publics de proximité dans nos discours et nos textes, quand on passe pour des archaïques parce que l’on souhaite garder dans le giron public des biens comme l’eau, l’electricité ou les moyens de communication, cet article est à envoyer aux libéraux de tous les camps.
LANDES.
La tempête a révélé une carence de services de proximité. Durement frappée, la collectivité de Rion- des-Landes n’a pas accepté l’absence et la désorganisation
Cette nuit-là, Yvette Biremont est restée assise sur son lit, à l’épicentre du bombardement, un coussin collé très fort sur le coeur qui faisait mal. Elle parle d’avions à réaction qui seraient passés très bas pendant des heures. Yvette a attendu 85 ans pour vivre le Pearl Harbor de la forêt. Les Landes ont été écrasées dans la nuit. Elle est restée deux jours sans parler. Pour son téléphone, ce fut un peu plus d’un mois. Bascous est à l’écart des crémeries. Le boulanger et l’épicier n’y vont plus. Le facteur s’accroche pour rester le dernier représentant de l’espèce humaine. Dans la vie d’Yvette, par ordre d’importance, le téléphone devance d’un boyau l’électricité et le lave-linge, car elle « n’est pas télé ». Le téléphone, c’est le docteur en cas de malaise. « Pour vivre ici, dit-elle navrée, je compte sur les services publics… » Sur qui s’appuyer pour se maintenir quand il n’y avait plus rien ? France Bleu et « Sud Ouest ». La radio, brusquement, a récupéré l’aura des heures sombres, quand les Français parlaient aux Français. Un travail majeur sur l’idée du service, un lien magique. Gloire à France Bleu.
Une nouvelle donne
Dix ans après la tempête de 1999, l’agression sauvage de Klaus a révélé une nouvelle donne. Comme si Rion-des-Landes et l’ensemble du département avaient pris en pleine figure un double désengagement financier et humain. Voici le téléphone et l’électricité au tribunal. Il y aurait eu régression dans le service rendu. La forêt avait été broyée dans la nuit du vendredi au samedi. La première voiture bleue du téléphone est arrivée le mercredi, un homme seul qui n’était pas landais. Un autre a été aperçu le jeudi, sans mission.
Le chef de centre des pompiers, Thierry Larrivière, entouré de Jean Louis Marrocq et François Billard, deux retraités d’EDF qui ont guidé les équipes venues de toute la France, reviennent sur ces journées hors du temps. « Un camion et une nacelle sur 12 000 hectares, c’était une utopie. Quand ils demandaient Labat, on leur répondait : Labat, le lieu-dit, ou la famille ? Ils ne savaient pas. Comment pouvaient-ils lire les cartes ? C’était trop compliqué. Les lignes ne suivent pas les chemins d’accès aux maisons. »
Le secrétaire général de la mairie, Didier Portelli, ne comprend toujours pas. « Nous n’avons jamais trouvé un interlocuteur à France Télécom qui ait en main une carte du chantier. L’entreprise n’a pas été capable de savoir qui avait le téléphone ou pas. Lorsqu’on appelait par le numéro spécial pour signaler les sinistrés, on nous répondait que ce n’était pas à nous de faire ça. Il fallait que les gens… sans téléphone composent le 1013. Ubuesque… De 1945 à nos jours, la France a construit du réseau public. Or, nous voici incapables avec cet outil d’assurer un service de proximité. France Télécom est aujourd’hui un prestataire de services comme un autre. Sur une ligne complètement par terre, il leur fallait l’ordre de l’opérateur – Neuf ou un autre – pour intervenir à un endroit précis. Il n’y a aucune vision d’ensemble. Si l’on avait procédé ainsi, personne n’aurait eu le téléphone à la campagne depuis quarante ans. Nous sommes confrontés à une logique qui joue contre nous. »
Le pouvoir des élus
Le dévouement et la compétence des personnes de l’électricité et du téléphone ne sont évidemment pas en cause. Chacun, ici, le rappelle en parlant de ces gens extraordinaires venus de contrées lointaines, tel le Forez ou l’Indre- et- Loire. Déchirée de toute part, la collectivité du plateau landais n’accuse que le manque de moyens, d’hommes, d’organisation, de réactivité.
« Je conçois très bien, explique Joël Goyheneix, le maire PS de Rion et conseiller général de Tartas, que France Télécom ou EDF veuillent faire des bénéfices maximums. Mais quand c’est le cas, on investit dans l’entretien. Je constate aujourd’hui de plus en plus d’incidents dans les Landes, et qui durent plus longtemps. Les élus doivent encore avoir du pouvoir sur les services. Il faut demander à ERDF de tirer les leçons de la tempête. Tout ce qui été négligé, c’est bien l’entretien préventif. C’est la même chose à France Télécom et à la SNCF. »
En ligne de mire, les rafistolages de 1999 qui ont cédé au premier coup de vent. Le provisoire a duré. En 1999, les équipes d’EDF étaient sur le terrain le lendemain et parlaient aux sinistrés. Cette fois, sans explications, la force d’intervention rapide d’électricité (FIRE) est arrivée à Rion le sixième jour. En 1999, il y avait 70 agents tout près, entre Morcenx et Tartas, équipés de poteaux, d’armements, de câbles et de groupes électrogènes. En 2009, il reste une cellule commerciale de cinq personnes. La distorsion entre la communication télévisuelle et les faits a choqué, comme si l’urgence était de prendre la parole dans le chaos.
La gendarmerie porte close
À quoi ont servi les troupes déployées sur le terrain, mais sans personnel local ?, demandent les Rionnais, qui dénoncent en même temps l’absence de liaison entre les dépanneurs partants et les arrivants, les lignes sécurisées trois fois, les fils torsadés toujours à terre sur lesquels passent tracteurs et camions de bois…
« On nous dit, ajoute le maire, que grâce à la voiture et à Internet la proximité est moins utile qu’avant. C’est faux. Les gens ont l’impression de ne pas être pris en considération. Est-il normal de trouver porte close à la gendarmerie ? Elle est là depuis 1852. L’État était il plus riche en 1852 ? Les enjeux d’aménagement, de sécurité, d’éducation, de souci environnemental plaident pour une meilleure répartition de la population dans le tissu rural. Il suffit de réfléchir au coût de l’entassement de milliers de jeunes en banlieue. J’espère que la crise mondiale changera quelques logiciels et que, demain, le service public ne sera plus regardé comme un fardeau mais comme une chance des territoires. Il est clair que l’eau, l’électricité, les communications doivent échapper à la logique marchande. »
Rion-des-Landes se pose de drôles de questions dans le pays où la vie ne tient qu’à un fil.
Les trois leçons du maire
Que retenir quand une communauté s’est trouvée à ce point démunie dans une catastrophe comme celle survenue le 24 janvier dernier ?
Joël Goyheneix, le maire de Rion-des-Landes, se souviendra de trois enseignements :
1. « L’unité communale existe vraiment. Personne n’est allé au siège de la Communauté de communes ou ailleurs. La maison commune, l’unité de vie, c’est la mairie. Gardons cela en mémoire pour Balladur. »
2. « Dans une telle tempête, il faut d’abord compter sur soi-même. Ce qui caractérise ce type d’événement, c’est la disparition des protocoles. Tout est écrit sur les papiers mais, lorsque l’événement surgit, rien ne marche. »
3. « Il ne faut vraiment jamais désespérer du genre humain. La générosité l’emporte. Il y a beaucoup de gens bien. »