Peu emballé par les prescriptions de Martine Aubry visant à rénover le PS, Henri Emmanuelli estime que les socialistes doivent avant tout répondre aux inquiétudes des Français. Entretien.
On vous a peu ou pas entendu vous exprimer au sujet du PS après l’université d’été de La Rochelle. Pourquoi?
Parce que je n’avais pas envie de parler. Et pour tout vous dire, je ne me suis même pas déplacé à La Rochelle pour ne pas subir une fois de plus cette actualité qui est aujourd’hui co-produite par les médias et les politiques. C’est une manière de faire que je trouve affligeante et à laquelle je ne souhaite absolument pas participer. Je prends un exemple: j’ai lu que Vincent Peillon avait fait à Marseille « une déclaration historique » en prônant une alliance – impossible – qui irait de Bayrou à Besancenot. Mais je m’écroule de rire! On parle de quoi, là? On brasse de l’air, et ce, dans un seul but: faire le tour des plateaux de télévision…
En même temps, à La Rochelle, Martine Aubry a envoyé des signaux forts afin de rénover le PS, que ce soit sur le non-cumul des mandats ou l’instauration de primaires ouvertes…
(Il coupe) Sur les primaires, que voulez-vous que je vous dise? J’en ai fait une fermée contre Lionel Jospin en 1995, et cela ne nous a pas porté chance. On en a fait une un peu plus ouverte en 2007 et cela n’a pas marché non plus. Maintenant, si on l’ouvre entièrement, je pense que l’on s’achemine tout droit vers un scénario à l’italienne (c’est-à-dire vers la désignation d’un candidat de centre gauche, ndlr) qui ne me convient pas. Tout ça pour dire qu’on ne règle pas les problèmes politiques en se penchant sur celui des modalités. Certains se sont imaginé qu’en parlant de nous, socialistes, on allait résoudre nos problèmes de fond politique ou de leadership. Et bien non, c’est en parlant des autres, des Français, que l’on fait avancer les choses.
« Le PS ferait mieux de s’occuper des vrais problèmes des gens »
Justement, Martine Aubry fait preuve d’ouverture quand elle propose un questionnaire aux militants sur les grands chantiers de la rénovation au PS. Qu’en pensez-vous?
Mais ce n’est en rien une idée nouvelle! Des questionnaires, on a dû en faire au moins six au cours des vingt dernières années! Je ne dis pas que c’est un empêchement, mais franchement, le Parti socialiste ferait mieux de s’occuper des vrais problèmes des gens. Il est temps de passer à l’action contre la politique du gouvernement. Tout le reste n’intéresse pas les Français.
Oui, mais pour passer à l’action, il faut bien que le PS soit en ordre de marche et qu’il adopte des règles claires de gouvernance…
D’accord, mais son premier rôle est, je le répète, de s’opposer fermement à la droite, à travers un véritable projet politique: prenez l’exemple de la taxe carbone. Comment le gouvernement veut la compenser? En baissant l’impôt sur le revenu. On retrouve ce qui est axiomatique de toutes les politiques de droite, à savoir moins d’impôts directs et plus d’impôts indirects. Ce sont ces injustices-là que le PS doit dénoncer quand il s’adresse aux Français, au lieu de parler de primaires dont les gens n’ont absolument rien à faire.
A gauche, le chantier des alliances est ouvert, avec des Verts, notamment, qui ont le vent en poupe et des exigences fortes vis-à-vis du PS…
Il y a en effet des excès ces derniers temps de la part des Verts. C’est une situation que j’ai déjà connu quand j’étais premier secrétaire du PS. Comme en 2009, en 1994, les écologistes avaient fait un bon score aux européennes, et nous un très mauvais. Sur un plateau de télévision, Brice Lalonde m’avait alors dit: « Nous allons nous croiser dans les escaliers, vous descendez, je monte… » Ça ne s’est pas tout à fait passé comme il l’avait prédit… Je ne dis pas que le PS se trouve en position de force à gauche, néanmoins, il en a la responsabilité principale et il doit l’assumer au mieux.
« Bayrou a pris la seule direction qui lui était possible de prendre »
C’est justement ce que vous reprochent les Verts: cette idée que tout doit tourner autour du PS à gauche…
Je ne dis absolument pas cela, et je plaide pour que nous traitions d’égal à égal avec eux. Je vous signale au passage qu’avec Benoît Hamon, nous avons tous les deux proposé à la direction du PS d’offrir des têtes de liste à nos alliés Verts pour les prochaines élections régionales. Nous n’avons pas été entendus, et je le regrette.
Certes, mais vous employez le verbe « offrir », que certains peuvent considérer comme péjoratif…
Mais, on est dans la cour de récré là! Je ne veux pas rentrer dans ce genre de débat. Ce que je veux dire, c’est que je ne trouverais pas anormal que dans les négociations avec les Verts, il y ait ici ou là un ou une président(e) écologiste. Il est faux de penser que je traite nos partenaires avec mépris ou avec arrogance. En revanche, je leur dis tout de même de bien réfléchir avant de se lancer seuls dans la bataille, comme cela semble être leur volonté. Ils ne sont pas sûrs d’arriver à bon port.
Quid de François Bayrou, qui propose une « offre publique de dialogue » à la gauche?
Je pense surtout que M. Bayrou a pris la seule direction qui lui était possible de prendre. De vouloir dialoguer n’a rien de choquant en soi, mais son seul projet est d’être au second tour de la présidentielle à notre place. Et je pense que mon rôle n’est pas de lui faciliter la tâche… Sur le fond, il y a certes des sujets sur lesquels nous pouvons être tout à fait en phase, comme la défense de la démocratie, mais sur d’autres, notamment économiques et sociaux, je pense qu’il a encore beaucoup de chemin à accomplir avant de pouvoir nous rejoindre. Et à choisir, je préfère un candidat qui représente mon orientation politique plutôt que la sienne.
Vous qui incarnez l’aile gauche du PS, vous n’êtes pas tenté de vous émanciper, de créer votre propre mouvement, comme l’a fait Jean-Luc Mélenchon avec le Parti de gauche?
Cette tentation a été récurrente chez beaucoup de personnes, mais, et les faits me donnent raison, j’observe que tout ce qui a été tenté en dehors du PS n’a jamais eu beaucoup de succès. François Bayrou est d’ailleurs en train de s’en rendre compte. Quand je m’assois à l’Assemblée nationale et que je vois 202 députés socialistes pour seulement deux députés du Modem (trois en réalité, ndlr), je ne me sens pas terrorisé, ni en position d’infériorité: si eux veulent nous rejoindre, pourquoi pas, mais ce n’est pas à nous d’aller vers eux. Ce serait le monde à l’envers tout de même!