ANALYSE. Le référendum de jeudi servira-t-il la rénovation ? Entretien avec Remi Lefebvre, politiste, professeur à l’Université de Lille et chercheur et chercheur au centre d’études et de recherches administratives et sociales (CERAPS) à Lille.
Sud Ouest : Est-ce que le taux de participation vous a surpris ?
Remi Lefebvre : Ce n’est pas un taux extraordinaire. Moins de 50% sur une consultation aussi symbolique avec un thème aussi valorisant… (…) Il y a une vraie désespérance de beaucoup de militants et ce n’est pas une consultation qui va les remobiliser. En même temps, le contexte n’est pas très porteur pour ce type de questions : alors qu’on est en pleine crise, elles apparaissent en décalage avec les préoccupations des Français. La thématique choisie était mobilisatrice en interne mais déconnectée du contexte général. Enfin : il n’y a pas eu beaucoup de temps entre l’annonce et le vote. Martine Aubry a été prisonnière de son agenda. Du coup les militants n’ont pas eu le temps de s’approprier les questions. Au final, cette faible participation qui était une chance pour les militants de s’exprimer, traduit une certaine démobilisation. Paradoxalement, cette consultation agit aussi comme un révélateur de l’état critique du parti.
Est-ce que ce taux est révélateur de la coupure entre caciques et militants ?
Il y a toujours eu –c’est assez classique- une fracture au PS entre la base militante et les élus. Le PS est un parti d’élus mais qui attache encore de l’importance au militantisme. Il y a donc une tension depuis trente ans entre base et élus et elle est ravivée dans les périodes de crise, de défaite. La transformation du PS est qu’il y a de moins en moins de militants et de plus en plus d’élus. Le discours sur le cumul prend parce qu’une base aspire aux responsabilités, trouve que les élus sont trop notabilisés. Beaucoup de militants ont voté pour la limitation parce qu’il y avait une pression médiatique et à pour la rénovation.
N’était-ce pas l’occasion avec ce referendum de poser des questions idéologiques ?
Ce referendum avait une fonction plébiscitaire : relégitimer Martine Aubry, restaurer son autorité, notamment sur les élus puisque Solferino n’a plus vraiment de prise sur les fédérations, les notables, les élus. S’il y avait eu des questions idéologiques, c’était prendre le risque de cliver encore le parti. Or l’objectif était plutôt de le rassembler à quelques mois des régionales. Parce que je pense, que, dans les mois qui viennent, sauf peut être Ségolène Royal, les socialistes vont être braqués sur les régionales, et ils ne peuvent pas prendre le risque de la division. Ils ont intérêt à serrer les rangs parce que l’enjeu électoral est majeur. Je pense que cela va discipliner un peu le parti. Parce que s’il perd une élection locale, c’est, au fond, tout le fonctionnement du parti qui va être remis en cause. C’est une échéance majeure avant 2012
Les militants du Languedoc-Roussillon ont plébiscité Georges Frêche…
C’est un gros problème pour le parti. A travers son cas on est dans une des contradictions principales du PS aujourd’hui : qui le dirige ? Les fédérations, les grands notables. La marge de manœuvre de Martine Aubry est dépendante de ces notables locaux et comme c’est un parti électoraliste, finalement, il y a une prime à la légitimité électorale vis-à-vis de laquelle elle ne peut pas grand-chose. Le cas Frêche illustre d’un certain point de vue le déficit d’autorité centrale du PS.
Est-ce que l’idée des primaires est une bonne réponse à Sarkozy qui rêve de n’organiser que des élections à un tour ?
Je suis circonspect : de quelles primaires parle-t-on. Les militants les ont validées, mais il y en a déjà eu en 2006. Ce qu’on entend par primaires est très, très flou: sont-elles ouvertes à tous les sympathisants de gauche ? Ou y aura-t-il des conditions comme de participer au projet avant d’avoir le droit de voter ? Il faudra attendre la mi-juin et la convention sur les statuts pour clarifier la situation.
Après, la grande question, c’est la nature du parti : comment faire que le parti socialiste reste un parti de militants en organisant des primaires. Pour la plupart des militants une des gratifications c’est de pouvoir voter pour le candidat à la présidentielle. Si on leur supprime cette gratification, ils risquent de partir. En même temps, le PS est contraint d’élargir sa base militante car on ne peut désigner un candidat à la présidentielle autour de 100 000 adhérents. Il faut lui donner une plus grande légitimité. Je pense qu’aujourd’hui la problématique des primaires, c’est comment trouver un système qui donne de la légitimité au candidat socialiste sans brader, liquider l’idée de parti et de parti militant. Il y a une réflexion à avoir que le PS ne mène pas parce qu’il ne réfléchit pas beaucoup à ses pratiques.
Le PS s’est-il anesthésié ou sa léthargie est-elle due à l’habileté de Nicolas Sarkozy ?
Je dirais les deux. On est face à Nicolas Sarkozy qui, d’abord, occupe en permanence l’agenda médiatique et asphyxie littéralement l’opposition, mais aussi parce qu’il incarne le mouvement, renvoie la gauche au conservatisme, à l’inertie. Il l’empêche de construire un espace. C’est évident que l’hyper présidence, l’hyper communication, l’habileté idéologique de Sarkozy y sont pour quelque chose. Il préempte –même si c’est factice- les thèmes de gauche, il incarne la protection, le volontarisme, il fait ce que les Américains appellent la triangulation, il vient prendre des thèmes de gauche. Après il y a le problème la gauche. Non seulement le PS est dans l’inertie, dans l’auto destruction, mais son fonctionnement est auto centré : le cumul est un thème très important pour lui mais qui ne passionne pas les Français. Avec cette consultation il donne l’impression de s’intéresser à son nombril. Je ne dis pas que ce n’est pas important, mais si le PS n’est pas audible c’est parce qu’il manque de relais dans la société. Il est en apesanteur sociale, n’est plus en lien avec le monde intellectuel, associatif. Concrètement, son problème est cette absence de relais dans l’opinion et de capacité à mettre en mouvement la société. S’ajoute le problème qu’il n’a pas clarifié, qu’il n’est pas porteur de propositions fortes, qu’il n’a pas d’identifiant : la crise était une opportunité extraordinaire pour développer un discours alternatif au libéralisme et il a loupé cette opportunité. Un des paradoxes, c’est que, finalement, la droite sort assez bien de la crise. Sarkozy est impopulaire, mais on ne peut pas dire aujourd’hui que la crise profite à la gauche !
Auteur : Propos recueillis par Jean-Paul Taillardas