Face à la baisse de fréquentation des transports publics liée à l’épidémie du Covid-19, les douze vice-présidents de région de la France métropolitaine, chargés des transports, lancent un cri d’alarme dans une tribune au « Monde » et appellent à la rénovation des infrastructures ferroviaires, essentielles pour assurer une bonne mobilité entre les territoires.
Tribune libre publiée dans le journal Le Monde.
Des trains, des cars presque vides, des autoroutes et des périphériques fluides : les premiers jours du déconfinement ont confirmé le coup d’arrêt que l’épidémie de Covid-19 a mis aux déplacements de nos concitoyens, tous usagers de nos infrastructures et nos systèmes de transports publics.
Pourquoi le nier ? Ce changement des comportements semble affecter tout particulièrement les transports collectifs. La crainte de la promiscuité et donc de la contamination est forte en milieu urbain dense. Dans ces espaces, les solutions alternatives de mobilité ne peuvent se substituer aux capacités d’emport de nos transports collectifs. La reprise progressive des activités impliquera une montée en charge prévisible, mais très progressive pour les services publics de transports collectifs, de la responsabilité d’Ile-de-France Mobilités dans la région capitale, et de l’ensemble des régions pour les transports ferroviaires et routiers interurbains.
Mais la sous-fréquentation actuelle affecte aussi des trains peu surchargés en temps normal : ceux qui relient les métropoles aux villes moyennes, et les villes moyennes aux espaces ruraux. Exclus des logiques de rentabilité propres aux dessertes à grande vitesse, ils relèvent pleinement du domaine du service public et assurent des missions essentielles à l’équilibre des territoires. Ces liaisons-là sont également – pour l’essentiel – de la responsabilité des régions : ce sont les transports express régionaux (TER).
Le choc de l’apparition épidémique passé, verra-t-on une conjugaison durable entre un télétravail étendu et un désamour marqué pour les transports publics ? Telle est la question que se posent en ce début d’été singulier tous les professionnels des mobilités. D’aucuns y répondent sans attendre par l’affirmative. Ils regardent comme utopique la perspective d’un retour à l’équilibre financier pour SNCF Réseau en 2024 et somment l’entreprise publique d’accélérer l’abandon des lignes ferroviaires les moins « rentables ».
Faisant profession de réalisme, ils invitent aussi les financeurs des transports collectifs à réorienter leurs priorités : vers le vélo et les modes doux, pour les plus « verts » ; vers l’automobile, pour les plus climatosceptiques. Ces dernières années, les régions et Ile-de-France Mobilités ont pourtant consacré des moyens sans cesse croissants au financement des infrastructures ferroviaires.
Au reste, on peut noter que les règles appliquées depuis le 11 mai en France n’ont pas facilité la tâche aux organisateurs de transports collectifs. En imposant dans les cars scolaires comme dans les trains la règle maximaliste du « 1 siège sur 2 », la France a en effet opté pour un modèle particulièrement préjudiciable à moyen terme à leur financement. Nos voisins européens se sont dans l’ensemble montrés plus pragmatiques, en faisant aussi confiance à la responsabilité individuelle.
En ce printemps 2020, la tentation est donc grande de rebattre totalement les cartes des mobilités. Les transports publics régionaux sont soumis à une insoluble équation de leur modèle économique : 1,7 à 2,2 milliards d’euros de pertes de recettes du fait de leur moindre fréquentation, 1 milliard d’euros de perte de recette fiscale en Ile-de-France, augmentation du coût d’usage des infrastructures et des gares, retards et surcoûts d’investissements, ce sont plus de 3,5 milliards d’euros d’incertitudes qui pèsent en 2020 sur les budgets transports des régions et d’Ile-de-France Mobilités.
La crise épidémique est bien commode pour qui veut de longue date sonner le glas du mode de transport terrestre le plus lourd et apparemment le plus coûteux : le train. La menace ne doit pas être sous-estimée. Il nous semble donc utile de rappeler quelques évidences. Le niveau de connexion d’un territoire aux espaces voisins ou lointains gouverne depuis l’Antiquité sa capacité à se développer !
Le désenclavement n’est pas une condition suffisante pour assurer la prospérité d’une ville ou d’une région. Il en reste pourtant une condition nécessaire, par la ou les solutions de mobilité les plus pertinentes pour chaque territoire, dont le train, mais également les transports routiers interurbains et l’avion. Prenons garde à ce qui court sous la « démobilité », ce mot à la mode : l’occasion de renoncer un peu plus à tout aménagement du territoire ? La mobilité est une des composantes de notre devise de liberté, nous refusons toute forme d’assignation dans les territoires.
Les transports (marchandises et voyageurs) comptaient pour 28 % des émissions de gaz à effet de serre dans le monde avant la pandémie ! Toute politique de lutte contre le réchauffement climatique passe donc par un volontarisme signalé pour développer les transports collectifs comme alternative principale (mais non exclusive) à l’autosolisme.
La France est à la croisée des chemins en matière d’infrastructures ferroviaires ! Après des décennies de sous-financement de l’entretien du réseau et malgré des efforts réels depuis 2003, il ne suffira pas de remettre verbalement en cause le « tout-TGV » pour que les trains du quotidien puissent continuer emprunter des voies mal entretenues, aux aiguillages souvent obsolètes, des territoires les moins denses au cœur des métropoles.
Les transports publics ont, au-delà de leur rôle pour répondre aux besoins de mobilité de millions de Français, un impact essentiel sur notre économie. Les régions contribuent à l’organisation d’un marché, non délocalisable, des transports publics régionaux de plus de 17,5 milliards d’euros par an, et y investissent plus de 3,2 milliards d’euros par an. Elles soutiennent ainsi plus de 350 000 emplois directs et indirects en France, et une filière ferroviaire exportant chaque année plus de 4 milliards d’euros de chiffre d’affaires.
Nous, élus régionaux chargés des questions de transport et de mobilité, appartenons à des majorités aux contours très différents. Nous partageons toutefois la conviction qu’il ne saurait y avoir demain de transition écologique ambitieuse sans développement des transports collectifs et singulièrement du train. Nous entendons veiller à ce que le prétexte de la crise épidémique ne justifie pas un abandon discret des territoires à leur destin, en réservant les transports collectifs aux seuls espaces métropolitains.
Le défi de la rénovation des infrastructures ferroviaires concerne aussi bien les lignes de desserte très fréquentées des métropoles que les lignes de desserte fines du territoire. C’est à l’échelle de la nation qu’il doit pleinement trouver sa place dans un plan de relance ambitieux, écologique, innovant.
Les signataires de la tribune : Stéphane Beaudet, vice-président en charge des transports et des mobilités durables, région Ile-de-France ; Roch Brancour, vice-président en charge des transports, de la mobilité et des infrastructures, région Pays de la Loire ; Franck Dhersin, vice-président en charge des transports et des infrastructures de transports, région Hauts-de-France ; Philippe Fournie, vice-président en charge des mobilités, région Centre-Val de Loire ; Jean-Baptiste Gastinne, vice-président en charge des transports et de l’axe Seine, région Normandie ; Jean-Luc Gibelin, vice-président en charge des mobilités et infrastructures transports, région Occitanie ; Martine Guibert, vice-présidente déléguée aux transports, région Auvergne-Rhône-Alpes ; Renaud Lagrave, vice-président en charge des infrastructures, des transports, de la mobilité, région Nouvelle-Aquitaine ; Gérard Lahellec, vice-président chargé des transports et des mobilités, région Bretagne ; Michel Neugnot, 1er vice-président en charge des transports, des déplacements et de l’intermodalité, région Bourgogne-Franche-Comté ; Philippe Tabarot, vice-président sécurité, transports, intermodalité et déplacements, région Sud Provence-Alpes-Côte d’Azur ; David Valence, vice-président en charge des infrastructures et des mobilités, région Grand-Est.